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Nos favoris de 2017 côté classique
Par Guillaume Tion — 25 décembre 2017 à 17:16
Cinq disques pour raconter l’année classique telle qu’on l’a vécue à Libé.
Yuri Favorin Alkan, Piano Works (Muso)
…puisqu’il faut une decouverte pianistique russe doublée d’un choc esthetique français.
Lambert Colson Schütz and His Legacy, Ensemble InAlto (Passacaille)
…puisqu’avant
Bach
il
y
eut
Schütz
et
qu’après
lui,
éclot
une
descendance
vivace
que
Lambert
Colson
nous invite avec érudition à redécouvrir…
Seong-jin Cho, Debussy (Deutsche Grammophon)
…puisque le plus doux des pianistes debussyens a décidé de porter au disque son péché mignon.
John Nelson, les Troyens (Berlioz), Orchestre philharmonique de Strasbourg (Erato)
…puisqu’un
tel
plateau
vocal
(Marie-Nicole
Lemieux,
Stéphane
Degout,
Michael
Spyres,
Stanislas
de
Barbeyrac,
Marianne
Crebassa…)
ne
peut
que
donner
envie
d’écouter
et
réécouter
jusqu’au
bout
les
cinq
actes à rallonge de Berlioz.
Raphaël Pichon, Stravaganza d’Amore !, Ensemble Pygmalion (Harmonia Mundi)
…puisqu’après
avoir
fêté
jusqu’à
la
nausée
les
450
ans
de
Monteverdi,
il
est
temps
de
suivre
Raphaël
Pichon dans le labyrinthe des spectacles de cour du XVIe siècle qui ont abouti à la création de l’opéra.
Guillaume Tion
http://next.liberation.fr/musique/2017/12/25/nos-favoris-de-2017-cote-classique_1618833
Alkan, beauté en touches
Par Guillaume Tion — 18 décembre 2017 à 18:46 (mis à jour à 19:16)
Longtemps
négligée,
l’œuvre
singulière
et
complexe
du
compositeur
romantique
et
pianiste
virtuose
mort
en
1888
suscite un regain d’intérêt grâce à un album du Russe Yury Favorin et une anthologie en 13 volumes.
Charles-Valentin Alkan (1813-1888). Photo Coll. part. Tropmi. Manuel Cohen. Aurimages
A
Libération,
on
aime
bien
découvrir
de
jeunes
talents.
Et
tant
pis
si
ceux-ci
sont
morts
en
1888.
Charles-Valentin
Alkan
est
de
ceux-là.
Compositeur
et
pianiste,
cette
étoile
engourdie
de
la
galaxie
romantique
et
génie
français
de
l’expressivité
tempérée
d’un
voile
de
symétrie
religieuse
a
été
largement
oublié
mais
renaît
en
cet
hiver.
Fin
novembre,
le
pianiste
russe
Yury
Favorin
a
enregistré
un
CD
de
ses
œuvres
maîtresses
et
le
célèbre
label
néerlandais
Brilliant
Classics
(Mozart
en
170
disques
à
100
euros)
a
sorti
une
anthologie
du
surdoué
parisien
en
13
volumes
(à
36,99
euros).
Inutile
de
s’en
détourner
plus
longtemps
:
il
va
falloir
apprendre
à
se
souvenir
de
l’œuvre impressionnante de Charles-Valentin Alkan, dont voici une tentative de profil en trois clés.
L’oublié
Comme
les
deux
autres
prodiges
de
foire
de
l’époque
romantique
que
sont
Chopin
et
Liszt,
Alkan
est
né
au
coin
de
1810,
en
1812
pour
être
précis.
Son
père,
musicien,
se
reconvertit
dans
la
pédagogie.
Charles-Valentin,
premier
d’une
fratrie
de
six
instrumentistes,
se
produit
en
concert
dès
l’âge
de
8
ans
(d’abord
au
violon).
Il
compose
à
partir
de
13
ans
et
peu
à
peu
cartographie
un
territoire
musical
précis
:
les
grands
formats
pour
des
petites
structures.
Son
œuvre
est
marquée
par
des
pièces
à
l’usage
du
piano
seul
ou
de
formations
chambristes.
La société des orchestres n’est pas à sa main. Alkan préfère les univers clos aux paramètres contrôlés.
Mais
il
ne
brade
pas
pour
autant
son
ambition
et
concocte
pour
ces
formations
étiques
des
œuvres
d’une
originalité
extrême,
comme
des
éventails
d’études
dans
tous
les
tons
majeurs
et
mineurs.
«Sa
pièce
la
plus
révolutionnaire
est
peut-être
le
Concerto
pour
piano
seul,
explique
Pieter
van
Winkel,
directeur
artistique
de
Brilliant
Classics.
Une
cathédrale
de
sons
qui
contient
toutes
les
émotions
humaines…
mais
les
morceaux
modestes,
comme
la
Chanson
de
la
folle
au
bord
de
la
mer,
aliénante,
très
XXe
siècle,
sont
aussi
novateurs.»
Alkan
est
alors
proche
de
Liszt,
dans
sa
propension
à
vouloir
transformer
son
instrument
en
orchestre,
notamment
via
le
pédalier
Erard
(tous
deux
sont
endorsés
par
le
facteur
de
piano).
Et,
quarante
ans
avant
la
Lugubre
Gondole de Liszt, l’ostinato de la Folle au bord de la mer ouvre la porte à des rayons d’atonalité.
Malgré
une
carrière
lancée
en
trombe
et
le
caractère
pionnier
de
partitions
programmatiques,
les
pièces
d’Alkan
tombent
dans
les
oubliettes
de
la
postérité,
à
l’image
du
compositeur,
devenu
au
fil
des
années
un
musicien
misanthrope,
reclus,
passant
son
temps
à
donner
des
cours
et
traduire
la
Bible.
Dans
son
renoncement
aux
concerts, il est alors proche de Chopin - dont il a récupéré une partie des élèves à la mort du pianiste en 1849.
Yury
Favorin,
lui,
se
veut
optimiste
:
«L’histoire
de
la
musique
change
de
perspective
tous
les
siècles
:
allez
savoir
quelle
place
aura
la
musique
d’Alkan
dans
la
tête
des
auditeurs
dans
cent
ans…»
En
1991,
soit
cent
trois
ans
après
la
mort
d’Alkan,
paraissait
chez
Fayard
la
seule
somme
sur
ce
compositeur.
Brigitte
François-Sappey
y
achevait
son
introduction
en
expliquant
qu’on
ne
pourrait
plus
désormais
oublier
Alkan.
Non
seulement
le
compositeur est toujours inconnu, mais le livre est introuvable.
Le maudit
Il
existe
peut-être
une
malédiction
Alkan.
Le
compositeur
se
présente
deux
fois
au
prix
de
Rome,
mais
est
recalé
à
chaque
fois
(alors
que
son
frère,
Napoléon
Alkan,
obtiendra
un
2e
prix).
Il
veut
succéder
à
son
maître
au
Conservatoire
de
Paris,
on
ne
le
lui
propose
pas
(son
fils
naturel
obtiendra,
lui,
une
classe).
Juif
ashkénaze,
religieux,
il
est
nommé
sans
concours
organiste
du
Temple
de
Paris,
mais
tourne
le
dos
au
Consistoire.
Car
Alkan
est
buté.
Exemple
:
au
plus
fort
de
la
guerre
de
1870,
il
joue
de
la
musique
allemande.
«Renier
mes
amis
parce
qu’ils
sont
prussiens,
cela
est
si
peu
dans
mes
instincts»,
écrit
ce
pacifiste.
Son
aura
de
maudit
le
poursuivra
jusqu’au
bout.
La
légende
veut
qu’il
soit
mort
écrasé
par
le
poids
de
sa
bibliothèque
s’effondrant
sur
lui
alors
qu’il
prenait
un
livre.
Il
serait
en
réalité
mort
des
suites
d’un
malaise.
Célibataire,
il
voudra
léguer
une
partie
de
ses
biens
à
l’Institut
de
France
pour
l’organisation
d’un
concours
de
cantate
biblique
et
de
piano-pédalier.
Mais
l’Institut refusera.
La résurrection
Alors
pourquoi
enregistrer
Alkan
aujourd’hui
?
«Aucune
anthologie
n’avait
jusqu’alors
été
éditée,
explique
Peter
van
Winkle.
Mis
à
part
cet
aspect
commercial,
je
suis
depuis
ma
jeunesse
un
fan
avide
de
sa
musique.
A
l’époque,
il
était
d’ailleurs
difficile
de
se
procurer
ses
partitions.»
Pour
Yury
Favorin,
c’est
la
sidération
qui
sert
de
moteur
:
«Je
l’ai
découvert
il
y
a
une
dizaine
d’années,
il
est
réputé
plus
technique
que
Liszt.
J’ai
écouté
et
je
n’ai
pas
trouvé
les
pièces
si
compliquées,
mais
elles
sont
tellement
sympathiques
et
étranges.
Il
était
temps
de
passer
à
Alkan.»
Au
programme
de
Favorin,
la
sonate
des
Quatre
Ages
de
la
vie
(quatre
mouvements
couvrant
les
décennies
de
20
à
50
ans,
une
forme
inouïe
de
réalisme-romantisme
distancié),
une
Symphonie
pour
piano
seul
et
la
mise
en
musique
d’un
psaume,
que
Favorin
a
«choisie
pour
sa
forme
et
son
esprit».
Brilliant
Classics
réédite
un
interprète
chevronné
d’Alkan,
l’Italien
Vincenzo
Maltempo,
en
y
ajoutant
des
pièces
d’autres
labels
et
en
complétant
par
deux
enregistrements
produits
pour
l’occasion.
«On
ne
s’attend
clairement
pas
à
rééditer
l’exploit
du
coffret
Mozart
et
ses
300
000
ventes
en
France,
notre
tirage
est
modeste.
Mais
il
est
temps
de
faire
connaître
ce
génie»,
conclut
le
directeur
artistique.
Parce
qu’il
était
ami
de
Chopin,
que
Liszt
disait
de
lui
qu’il
était
«injustement
méconnu»,
qu’il
a
selon
Favorin
«la
fougue
de
Berlioz
et
annonce
Satie»,
le
temps
est
venu
de
se
faire
l’oreille
aux paradoxes et aux extravagances de Charles-Valentin Alkan, compositeur jetable.
Guillaume Tion
http://next.liberation.fr/musique/2017/12/18/alkan-beaute-en-touches_1617523